Un peu perdue dans les premiers contreforts du Jura, La Ferme de l’âne Eria va se révéler à notre curiosité. Nos pas nous emmènent à la rencontre de deux personnalités : Anthony Jacquemard et Sébastien Perret, qui ont modelé les activités de cette ferme.

Deux parcours qui se rejoignent dans une ambition éducative.

Des points communs : une formation initiale sans aucun rapport avec l’agriculture, une expérience dans le travail social avec le sens du contact humain, la préparation d’un Brevet Professionnel de Responsable d’Exploitation Agricole (BPREA), une fois prise la décision de démarrer une nouvelle vie. C’est lors des six mois de stage concluant cette formation que Sébastien s'est initié à la production de viande de mouton, à la découpe à la ferme et à la vente directe. Dans le même temps, il a acheté une maison « un peu en ruine» et les premiers terrains de ce qui deviendra plus tard La Ferme de l’âne Eria. A la production première de viande de moutons, il a ensuite ajouté une activité de poules pondeuses et un élevage de porcs. C’est alors qu’Anthony Jacquemard est venu lui parler de son projet de ferme pédagogique. C’était pour Anthony le moyen de réunir son savoir-faire dans l’animation et son goût de la nature. Après une période test, un GAEC a scellé leur association, en 2014. Une même volonté d’éduquer les jeunes à la nature, de recréer le lien entre nourriture et terroir tout en découvrant les tâches du fermier, a permis l’aboutissement du projet. Entre classes scolaires et centres de loisirs, c’est un millier d’enfants par an qui viennent se déconnecter et prendre un bain de campagne à La Ferme de l’âne Eria.

Valoriser et recycler : des choix assumés.

Les moutons de la ferme, au nombre de 120, sont symboliques de leurs choix : pas très bien conformée en viande, la race Bizet, peu exploitée est devenue rare. Pourtant, le mouton Bizet est un animal docile et rustique, c'est à dire robuste et peu exigeant en nourriture. Il est donc simplement mis à l’herbe l’été sur une colline proche. De surcroît, le goût de sa viande est très réputé. Sa laine, pas assez blanche n’était plus utilisée avant que ne vienne l’idée de la feutrer pour créer divers produits (chaussons, chapeaux…). Non seulement cela permet de valoriser une matière abondante et gratuite mais en plus la laine offre une activité attractive aux enfants visitant la ferme ! Autre exemple avec le choix de la race de cochon Cul Noir Limousin. Porc de plein air, cette race a aussi été mise de côté, malgré l'excellent goût de sa viande, à cause de son faible taux de croissance et de son gras important. Sébastien a eu un coup de cœur pour ce cochon en voie de disparition, comme Anthony qui le trouve «calme, beau […] une race qui nous ressemble ». Le secret de la rentabilité de son élevage se trouve dans son alimentation : du babeurre récupéré gratuitement, car considéré comme un déchet, dans une fromagerie proche. Ce « super aliment» n’a qu’un défaut : il prive de la certification bio les porcs ainsi nourris. En dépit de cette réserve, 150 litres par jour de cette boisson protéinée sont distribués aux cochons, alimentation complétée par quelques céréales dont un autre « déchet », obtenu cette fois chez un paysan boulanger : duson. Ce régime faisant la part belle au recyclage permet d’attendre l’âge de 10-12 mois pour tuer les cochons qui seront ensuite découpés et transformés par Sébastien dans le labo de la ferme. Ils sont aujourd’hui une soixantaine sur la ferme, dont cinq truies et un verrat.

Le circuit court : lcréation d’un magasin de producteurs locaux.

«On n’a jamais eu de problème pour ce qui est de la vente» nous dit Anthony, précisant ensuite que la modestie des débuts et la croissance lente de leur exploitation, soutenues par des clients fidèles, ont favorisé cette sérénité. Cela ne les a pas empêchés de participer activement à la création d’un magasin de producteurs situé à Saint-Amour, à seulement seize kilomètres de la ferme. Après trois ans de réflexion et de travail préparatoires des producteurs engagés, appuyés par une volonté politique affirmée, ils ont pu acquérir un local. Le magasin «Ô Pré De Chez Vous» a ouvert ses portes en mai 2017. Ils ont aussi bénéficié du soutien du réseau « Terre d’envies » dont ils respectent la charte imposant entre autres la présence d’un producteur à la vente. Pour Sébastien, c’est « un peu la pause » dans son quotidien et « un bon moment de convivialité" avec les clients. Le succès du magasin a été immédiat, à la surprise même des producteurs, permettant une embauche au bout de six mois à peine.

Dans le sillage de cette réussite, Sébastien et Anthony envisagent d’augmenter leur cheptel porcin et d’agrandir leur labo. Sébastien évoque même la possibilité de prendre un nouvel associé à La Ferme de l’âne Eria… Et cet âne Eria, n’est-il qu’un habile jeu de mot sur la localisation de la ferme ou existe-t-il vraiment ? Rendez-vous dans le Jura pour y répondre !