La Ferme de Chalonne, c'est avant tout une aventure humaine, l'aventure d'un collectif. Pour Joaquim, à l'initiative du projet, il était inconcevable de travailler seul. La constitution récente d'une SCOP pour le travail collectif et la vente directe de leurs produits fermiers et Bio, (pain, farine, pizzas, pâtes, œufs...) sont les fondements de ce projet d'installation.
Dans cette série de vidéos, Joaquim et Nicolas vont nous expliquer toutes les étapes de leur métier de paysan boulanger : la culture des céréales, le stockage, le triage, l’utilisation du moulin, et la fabrication du pain jusqu’à sa cuisson !
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Teaser La ferme de Chalonne
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Présentation de la ferme de Chalonne
Découvrons, à travers deux personnalités étonnantes, l’esprit qui fait vivre La Ferme de Chalonne : donner un sens à son travail, dans un esprit collectif, en s’appuyant sur son expérience et sur celle des autres, source d’échanges permanents. Ecoutons Joaquim Ferrand et Nicolas Blanc.
Et d’abord Joaquim Ferrand : on pourrait le présenter comme le « patron » de La Ferme de Chalonne, mais il ne sera sûrement pas d’accord avec cette affirmation ! Car Joaquim Ferrand, véritable homme-orchestre de l’exploitation, à l’origine du projet paysan-boulanger, est un homme de convictions.
Et celles-ci le guident vers la mise en œuvre collective où concessions, parfois, et remise en question, souvent, ne sont pas de vains mots. « Ce n’est pas simple » mais c’est la voie qu’il a choisie, sans patron et sans ouvrier ! C’est donc un associé qu’il a accueilli en la personne de Nicolas Blanc. Infographiste en pleine crise de la quarantaine comme il le dit lui-même, lassé de la ville et désirant donner une orientation plus concrète à son emploi, il est aujourd’hui un paysan-boulanger de La Ferme de Chalonne.
Pour le boulanger, cela veut dire s’adapter à une qualité de blé, et donc de farine, variable selon les années, modifiant par exemple l’hydratation de la pâte ou son temps de levée. Nous allons suivre dans l‘épisode suivant la partie paysan du travail, avec le semis du sarrasin.
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Le semis du sarrasin
Le printemps venu est le temps du semis du sarrasin, le blé étant, lui, semé en automne. Cela va nous permettre de découvrir la terre de Charrette, dans l'Isère, où se trouve la ferme de Chalonne, dans sa richesse et ses aspérités, le tout aux côtés de Joaquim Ferrand.
Ce n’est pas sans une légère appréhension que Joaquim ressort son matériel de semis.
Celui-ci n’est pas tout neuf et Joaquim a donc appris « au fur et à mesure » à travailler avec lui et à le réparer. Une vérification du matériel s’impose donc, assortie d’un petit graissage.
Le matériel de semis se compose de trois éléments : le « vibro » dont les dents vibrantes déracinent les adventices et préparent le terrain, le rouleau dont les roues dentées enfoncent un peu les cailloux, et enfin, le semoir dont les sabots, sur dix-sept rangs, ménagent la raie de semis.
Joaquim en règle soigneusement le débit (90 kg/ha), l’espacement entre les rangs ou encore l’enfoncement des graines, le terrage, ici de deux à trois centimètres.
La terre à ensemencer n’est pas aisée à travailler à cause des nombreux cailloux qui jonchent le sol. Les plus gros sont enlevés par Joaquim et les précautions prises ralentissent l’action. Mais c’est une bonne terre que les cultures précédentes ont bien préparée et puis, aujourd'hui, le climat est favorable.
D’autant plus que le sarrasin ici planté n’a pas besoin de beaucoup d’eau, ni de beaucoup de nourriture.
Nous allons en suivre la récolte dans le prochain épisode.
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La récolte du sarrasin
Environ cent dix jours après avoir été semé, le sarrasin est récolté, en septembre. En regardant le champ, on comprend pourquoi le sarrasin est appelé « blé noir » : à défaut de faire réellement partie de la famille des blés, ses graines sont bien noires !
La moissonneuse-batteuse est de sortie avec son cortège de tracteurs et autres camions, sous le regard de chevaux bien contents, peut-être, de ne pas participer à ces opérations.
L’on se souvient des propos de Joaquim sur l’importance de connaître ses besoins en matériel pour maîtriser ses investissements : la location ou le prêt d’une machine par un voisin étant des solutions à ne pas écarter, loin de là.
Ainsi, tout le jour, les engins vont tourner, fauchant inlassablement le terrain jusqu’à le ratiboiser complètement. Ensuite la récolte subit un premier tri puis est transférée dans le silo à l’aide d’une vis à grain.
Joaquim s’inquiète du nombre de grains verts dû à la floraison permanente du sarrasin : ils peuvent faire chauffer, c’est-à-dire fermenter, le contenu du silo. Il a placé dans celui-ci des grilles perforées et met en route rapidement la ventilation afin de sécher et refroidir la récolte.
Elle fonctionnera en continu plusieurs jours pour atteindre le taux d’humidité et la température voulus.
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Le stockage et le tri des céréales
« Paysan-boulanger, ça veut dire avoir des terres cultivées, et ça veut dire aussi stocker des céréales et les trier ».
Ces paroles de Joaquim sont plus subtiles qu’il n’y paraît : stocker et trier des céréales, c’est tout sauf simple ! C’est ce que nous allons voir maintenant.
Un premier tri, ou pré-tri, se déroule à la récolte, grâce à un trieur sur remorque. Il permet de se débarrasser de quelques cailloux, insectes et adventices.
Il est toutefois sommaire et en conséquence les silos, auto-construits en tôles, sont ventilés. Car la lutte contre les parasites est d’autant plus importante que la culture est bio.
C’est pour cela qu’une ventilation des grains a lieu aussi en plein hiver (sans oublier, avant la moisson, un nettoyage soigneux des silos, aspergés de géranium rosat).
Du silo, les grains passent au trieur à grille où ils sont secoués et soufflés par une turbine : les éléments les plus légers sont évacués. Puis une deuxième grille écarte les plus petits morceaux (le petit blé).
Une autre machine attend encore les grains : le trieur densimétrique. Il a pour but principal de séparer le blé des vesces, cette légumineuse que l’on trouve souvent dans la culture bio, qui au-delà de 15 % dans le blé le rendrait toxique. C’est la rondeur de ces grains qui permet de les isoler.
Bizarrement, on trouve dans la même salle une bétonnière ! Elle sert à ré-humidifier le blé et sa présence ne doit donc rien au hasard. Plus généralement, l’agencement des machines doit être pensé avec attention pour limiter les manutentions, déjà bien nombreuses, dans le métier de paysan-boulanger.
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Le moulin Astrié
« L’outil magique » ou « le nerf de la guerre dans l’installation paysan-boulanger », selon Joaquim Ferrand, c’est son moulin Astrié de 27 ans d’âge.
Avec la bluterie, il constitue l’essentiel de l’espace meunerie de La Ferme de Chalonne. Découvrons ensemble son fonctionnement.
Situé un étage en dessous de l’espace stockage-triage, le moulin reçoit donc par gravitation les grains de blé dans sa trémie. Composé d’une pierre tournante et d’une pierre dormante, le moulin écrase les différents éléments constitutifs du grain de blé : l‘enveloppe, le germe, l’amande et les protéines que Joaquim appelle « l’assise gluténique ».
Tout cela passe ensuite dans la bluterie pour être tamisé à travers une soie micro perforée. Une farine bise de type 80 est ainsi produite au rythme lent du vieux moulin, soit 10 kg de blé par heure (1 kg de blé produisant 800 g de farine).
Alors que le son (c’est-à-dire l’enveloppe marron du blé écrasé) est rejeté de la bluterie, Joaquim récupère « l'assise gluténique » grâce à un petit bricolage maison.
La farine grossière ainsi recueillie sur le côté sera utilisée pour le fleurage lors du façonnage de la pâte à pain. Le moulin artisanal de Joaquim, monté à la main, remplit donc parfaitement son office, nonobstant le « rhabillage » --retaillage des pierres-- nécessaire toute les 30 t de blé moulu.
C’est pourquoi cet outil, dont l’achat est rapidement rentabilisé, est devenu la pierre angulaire de l’autonomie du paysan-boulanger.
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La fabrication du pain
Que la vie d’une pâte à pain est compliquée, dépendante de nombreux facteurs et du travail de quantité de micro-organismes ! Heureusement, Joaquim Ferrand va tout vous expliquer avec moult précisions car chaque détail compte, comme vous allez le voir.
Lorsqu’il a commencé à préparer des pâtes à pain, Joaquim faisait des « pâtes chaudes », c'est-à-dire que l’addition des températures des éléments constituants la pâte mise dans le pétrin (eau, farine et la température ambiante) atteignait 70°. Aujourd’hui, il réalise des « pâtes froides » entre 16 et 18°.
Dans le même temps, il a baissé le taux de levain de 20% à seulement 3% pour diminuer l’acidité de la préparation. Et si les farines « paysannes » ont un réseau glutineux court, il est contrebalancé dans la pâte par une hydratation importante afin de bien l’étirer.
Pour accomplir tous ces critères, une pousse lente s’impose. La pâte est donc préparée la veille et passe la nuit en chambre de pousse à 11°.
Elle est ensuite divisée au poids désiré (en n’oubliant pas de compenser la perte d’eau due à la cuisson : une pâte d’un kilo perdra l’équivalent de 200g d’eau pendant celle-ci) puis retourne 2h30 en chambre de pousse à 24° où les levures s’expriment.
Vient alors le moment du façonnage, « le truc du boulanger » comme dit Joaquim, pendant lequel il dégaze le gluten pour obtenir une mie régulière finement alvéolée. Les pains formés et fleurés, avec la farine produite à cet effet, sont placés sur des couches ou dans des bannetons, en attente de cuisson.
Celle-ci se passe dans un four à cuisson indirecte, à grande capacité et doté d’une inertie thermique importante, dans lequel on glissera une casserole d’eau pour le développement d’une belle croûte.
Véritable pivot de la production, le four mérite un investissement substantiel (vite amorti) pour la plus grande satisfaction de son propriétaire et des consommateurs.